vendredi 16 mars 2012

Lecture du jour: les enjeux d'un répertoire diocésain (2)

Seconde partie d'un exposé de M. Serge Kerrien, diacre permanent du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier,  sur "les enjeux d'un répertoire diocésain".

III- Un enjeu catéchétique.

Un troisième enjeu qu’il convient de mesurer, est celui de l’annonce de la foi. Dans leur « lettre aux catholiques de France », les évêques désignent la liturgie, et donc toutes ses composantes, comme premier lieu d’annonce de la foi. Le texte national pour l’orientation de la catéchèse propose plusieurs points d’ancrage de l’annonce de la foi. Et parmi ceux-ci, la célébration dominicale, l’année liturgique, la vie sacramentelle. Pourquoi une telle place à la liturgie ? Parce que, dans la liturgie, le croyant apprend et réapprend qu’il est convoqué, enseigné, nourri, envoyé. Avant d’être active, la foi a une forme de passivité faite d’ouverture à Dieu. Le chrétien est d’abord celui qui se laisse modeler par Dieu et qui accueille Dieu comme don. Accueillir un répertoire diocésain, c’est accepter de sortir de soi-même, de ses centres d’intérêt, de ses goûts personnels pour accueillir comme un don ces chants. Et, dans ce simple accueil, éprouver la foi comme don à  accueillir.
L’enjeu catéchétique est aussi du côté de la mémoire croyante à entretenir. On sait de la foi est son avant d’être raison : « C’est qu’il faut entendre pour croire, il faut entendre ce qu’on dit du Christ » (Rom 10, 17). Parce qu’il est à la fois expression de la foi et écoute des mots de la foi, le chant se situe sur l’axe de la mémoire, d’une mémoire à constituer et à entretenir. Un répertoire diocésain visera à l’établissement d’un « corpus » de chants que l’on retrouvera régulièrement et qui constituera une part de la mémoire croyante du diocèse. Ceci n’exclut pas la nouveauté mais porte le souci de la mémoire.
Cet enjeu catéchétique ne saurait ignorer le contenu des chants, la justesse des mots de la foi qui sont chantés. Notre responsabilité est celle de la transmission, de la Tradition qui consiste à transmettre avec fidélité ce que nous avons reçu. Avant de choisir et de proposer un chant au répertoire diocésain, il faut vérifier sa fidélité à la mémoire croyante avant de céder trop vite aux modes ou aux courants porteurs. Il s’agit aussi de travailler avec d’autres services diocésains à l’établissement d’un répertoire minimum qui porte le souci de l’annonce de la foi. La question tout en étant celle des mots reste celle de la mémoire.

IV- Un enjeu pour la vie spirituelle.

C’est l’enjeu le plus haut, sans doute le moins visible du chant dans la liturgie. Et nous devons en porter le souci dans le choix d’un répertoire diocésain. Je voudrais aborder cet enjeu sous deux aspects :

a)   Il nous faut considérer notre pratique musicale, dans sa totalité, comme un lieu théologal majeur, c’est-à-dire un lieu par lequel la foi peut s’entretenir, se fortifier, s’affiner. Or, quel est le cœur de la foi ? C’est le mystère pascal du Christ, mystère d’abaissement et d’élévation, du service et de salut, de mort et de résurrection, mystère d’un amour qui va jusqu’au bout de lui-même. Dans notre pratique du chant, dans le choix d’un répertoire, il doit y avoir de la Pâque ; c’est la seule vraie richesse de notre musique. Cela se traduit par l’acceptation des contraintes et des frustrations artistiques. Il faut faire avec les communautés que l’on a, la chorale diocésaine que l’on a, sans impatience, sans arrogance, sans démagogie. Il faut résolument faire avec tous un bout de chemin qui sera un chemin de sainteté. C’est l’amour qu’on y mettra qu’on entendra chanter.
Quant aux frustrations artistiques, on les assumera avec courage. Il faut savoir renoncer au plaisir de certaines œuvres au bénéfice de la joie de l’action liturgique, plus large, plus complexe et donc plus aléatoire. (Après tout, qu’est-ce qu’une célébration réussie ?) C’est aussi une démarche pascale par le détachement et l’obéissance qu’on y met pour mieux servir la prière et le chemin de conversion de chacun.

b)      Il nous faut tenir compte d’un critère de choix, de tri, essentiel : la capacité d’un chant à accompagner une posture spirituelle de la liturgie. Cet enjeu est souvent trop mesuré.
Quel est le projet de la liturgie sinon d’apprendre au chrétien à se tenir devant Dieu pour être tour à tour celui qui rend grâce, qui supplie, qui écoute, qui demande, etc… ?  La musique peut alors puissamment aider à cette réalisation. L’exemple du chemin eucharistique illustre bien ce propos. En effet, il propose au chrétien une succession de postures faites d’attitudes extérieures et de dispositions intérieures. Le chant apprend au chrétien qu’il se rassemble, que sa voix mêlée à celle des autres construit l’Eglise, corps du Christ. Puis il devient suppliant avant de rendre gloire pour le salut donné. Il se tient ensuite comme priant, puis comme écoutant de la Parole, un écoutant qui entre en conversation avec son Seigneur, etc… L’enjeu pour la vie spirituelle pose clairement la question du rapport texte, musique et attitude spirituelle dans le choix d’un répertoire et donc le non-sens de ces messes totalement construites sur une cellule musicale qu’on se contente de répercuter à l’infini. Elles  empêchent la variété des postures intérieures et réduisent la vie spirituelle à une attitude unique.Par ailleurs, la posture spirituelle est l’œuvre de l’Esprit. Alors, le but du répertoire est aussi de donner à l’Esprit la possibilité d’agir. Le répertoire ne saurait être ni un fourre-tout, ni un encombrant  et le silence en fait partie intégrante. Il convient d’y éduquer nos musiciens et nos équipes liturgiques et donc de penser la place du silence dans la réalisation d’un répertoire.

 Conclusions.
Choisir et mettre en œuvre un répertoire diocésain n’est pas un acte neutre : il construit l’Eglise autour de l’évêque et donne une conscience diocésaine ; il permet de travailler plus profondément la  connexion entre rite et actes musicaux ; il met en jeu l’annonce de la foi et la richesse de la vie spirituelle. Ces enjeux sont toujours à mesurer. Ils  peuvent nous servir à relire nos pratiques et à choisir nos répertoires avec davantage de justesse.

Serge Kerrien

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