Le chant grégorien aux yeux des croyants
1. Le rôle de l'Église dans la redécouverte du chant grégorien
a) La restauration du chant grégorien
Au
point de départ de la redécouverte du chant grégorien s'est trouvée la
figure de Dom Prosper Guéranger (1805-1875) restaurateur de la vie
bénédictine en France autour de l'abbaye de Solesmes. Il eut l'intuition
que cette musique contenait à l'origine une capacité éminente de porter
les textes sacrés en usage dans la liturgie ; il y voyait une prière
musicale d'une rare richesse pour ses moines : la Parole de Dieu qui chante.
Mais,
au temps de Dom Guéranger, les secrets de l'interprétation du chant
grégorien étaient perdus depuis longtemps et il n'existait encore aucune
édition cohérente donnant les mélodies grégoriennes. Il fallait donc
entreprendre de grands travaux de restauration du répertoire grégorien.
C'est
sous cette impulsion que l'abbaye de Solesmes commença ses travaux de
recherche devant aboutir à une restauration de l'intégralité du
répertoire et, conjointement, à une redécouverte de la façon
d'interpréter les mélodies grégoriennes.
Dès
1903, le pape Saint Pie X allait confirmer la valeur d'une telle
démarche et, plus encore, demander à toute l'Église de rite romain de
reprendre le chant grégorien comme chant étroitement lié à la liturgie
latine.
Cette
demande sera réitérée par tous les papes qui succéderont par la suite à
Saint Pie X, et sera confirmée pour la première fois, de façon
particulièrement solennelle, par la Constitution Sacrosanctum Concilium du Concile Vatican II, ainsi qu'on l'a déjà rappelé.
On
remarquera que, pour les moines de Solesmes, la première urgence fut
d'unifier le répertoire à l'usage de la liturgie de l'Église, en
rétablissant autant que faire se pouvait les mélodies grégoriennes dans
leurs versions originales.
C'est
ainsi que la première édition des mélodies grégoriennes datant du début
du siècle utilisa une notation tardive dans l'histoire de la notation
grégorienne (notation avec notes carrées sur quatre lignes datant des XVe et XVIe siècles) qui permettait de préciser clairement la hauteur des sons et, par conséquent, les mélodies.
Quant
au travail de recherche d'une interprétation plus authentique, il fut
plus lent et plus complexe. Il n'a débouché que plus tard sur un
résultat satisfaisant et a conduit à une nouvelle édition datant de
1979 : le "Graduale Triplex". Ce dernier reproduit de part et d'autre de
la notation carrée des manuscrits plus anciens (Xe
siècle) donnant de précieuses informations au sujet de l'interprétation
des mélodies. Encore fallait-il en retrouver les clefs de lecture...
Ce travail de recherche n'est pas totalement achevé aujourd'hui et tout
porte à croire que, s'il prendra encore du temps, il réservera aussi
d'intéressantes surprises.
b) Le choix judicieux de Saint Pie X
Saint
Pie X a donc demandé à l'Église de se réapproprier, dans son esprit
d'origine, un ancien répertoire musical faisant corps avec la liturgie
au lieu de continuer uniquement à intégrer le style musical moderne
comme cela s'était fait régulièrement jusqu'ici - produisant au cours
des siècles d'immenses chef-d'oeuvres.
Ce faisant, Saint Pie X était très en avance sur son temps, et ce pour plusieurs raisons :
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Tout
d'abord compte tenu de la richesse du chant grégorien dans le cadre
d'une réflexion plus globale sur l'interprétation musicale et sur la
musique elle-même ainsi qu'on l'a vu plus haut : en demandant à l'Église
de redécouvrir ce chant dans sa pureté originelle, le pape donnait au
monde musical un élément vivant de réflexion sur son propre art.
Ainsi
l'Église allait-elle continuer à illuminer le monde artistique alors
même que les chefs d'oeuvres musicaux qu'elle allait susciter au XXe siècle par sa liturgie allaient devenir plus rares.
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Ensuite,
opter pour le chant grégorien revenait pour l'Église à choisir, parmi
l'immense répertoire musical composé jusque-là, un chant du passé
possédant toutes les qualités souhaitées pour la liturgie.
Cette
démarche consistant à aller chercher parmi le répertoire du passé celui
qui nous convient le mieux peut nous sembler normale aujourd'hui - il
suffit de se rendre dans un grand magasin de disques pour constater que
c'est ce que chacun fait pour son propre usage - mais elle ne l'était
pas du tout à l'époque de Saint Pie X.
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Enfin
parce que son choix allait permettre - au moins temporairement - à la
musique liturgique d'échapper à la grande crise musicale du XXe
siècle où l'unité du style musical allait continuer de disparaître et
où le lien entre le compositeur et l'auditeur allait progressivement se
couper.
En
choisissant le chant grégorien, Saint Pie X donnait à l'Église le moyen
de préserver l'unité musicale de la liturgie et de se situer en dehors
de la polémique autour de la "musique moderne".
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2. Le chant grégorien : un modèle de musique liturgique
On
ne cherchera pas ici à démontrer la richesse spirituelle propre au
chant grégorien : une telle entreprise demanderait beaucoup plus de
place, et surtout ne pourrait convaincre vraiment que ceux qui par
ailleurs le pratiquent régulièrement.
En
effet, une telle richesse ne peut, de par sa nature, s'imposer d'emblée
dès la première écoute (même s'il se peut parfois que le climat musical
créé par le chant grégorien oriente immédiatement des néophytes vers
une attitude intérieure de prière). Elle suppose nécessairement de la
part de l'auditeur une familiarisation avec l'univers musical grégorien
et un désir ardent de recevoir la Parole vivante de Dieu.
On
se limitera donc à observer quelques caractères objectifs de ce chant
dont la perfection contribue certainement à ce que le chant grégorien
soit effectivement porteur de valeurs spirituelles et liturgiques de
grande qualité :
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1)
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Le
chant grégorien est le fruit d'une très haute compétence musicale, il a
été composé par des professionnels qui furent en leur temps des
compositeurs modernes aussi bien que de fins pédagogues.
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2)
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Le
chant grégorien a été composé et organisé de façon à ce qu'il soit
toujours en étroite connexion avec le moment de l'action liturgique. Les
textes bibliques utilisés sont ceux choisis par l'Église pour
correspondre aux lectures de chaque jour de l'année liturgique.
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3)
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Le chant grégorien comporte des pièces de toutes difficultés selon qu'elles doivent être chantées par des solistes, par une schola, par
les ministres du culte ou par l'assemblée. Nous sommes donc en présence
d'un répertoire parfaitement respectueux des compétences de chacun.
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4)
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Il
s'agit d'un répertoire composé par des anonymes, dont on sait
simplement qu'ils étaient tout entiers au service de la liturgie. Ainsi,
les pièces grégoriennes sont-elles nées afin de servir la seule Gloire
de Dieu.
Mieux
encore : le chant grégorien est le fruit d'un véritable « travail
d'équipe » qui a permis aux compétences de se compléter les unes les
autres, pour aboutir à une perfection à laquelle ne serait jamais
parvenu le travail d'un seul.
En
outre, l'anonymat a donné au chant grégorien bien plus de possibilités
de rayonnement, lui permettant d'acquérir un caractère universel au lieu
d'être l'oeuvre d'un seul ou de telle ou telle chapelle.
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5)
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Il
s'agit d'une musique portée par la prière et la « manducation » de la
Parole de Dieu : on voit en effet, lorsqu'on pratique le chant grégorien
assidûment, combien "le" compositeur connaît en profondeur les textes
sacrés qu'il emploie, sachant les faire parler avec une grande finesse
au-delà de ce qu'ils expriment.
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Aujourd'hui,
on pourrait fort bien s'inspirer de ces différents points pour composer
des pièces destinées à la liturgie ; car n'oublions pas qu'un tel
travail de composition a toujours été encouragé par l'Église,
parallèlement à la demande d'un retour à la pratique du répertoire
grégorien.
On
remarque d'ailleurs que de plus en plus, les productions actuelles de
musique liturgique tendent à utiliser prioritairement les textes de
l'Écriture Sainte, ce qui correspond en partie au deuxième point évoqué
ci-dessus.
Le
chant grégorien est un chant qui mérite grandement à être connu par
tous les musiciens d'aujourd'hui, mais plus particulièrement par ceux
qui oeuvrent dans la liturgie : il leur offre un exemple éminent de ce
que peut et doit être la musique liturgique.
On
ne saurait assez encourager le lecteur à se lancer dans cette
redécouverte, de préférence en cherchant à pratiquer le chant grégorien
dans un choeur ou au cours de stages, la bibliographie qui suit n'étant
qu'un apéritif !
Bibliographie
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Dom
Daniel SAULNIER, Le chant grégorien par un moine de Solesmes, éd. des
Pays de Loire ; Les modes grégoriens, Abbaye Saint-Pierre de Solesmes.
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Albert-Jacques BESCOND & Giedrius GAPSYS, Le chant grégorien, éd. Buchet-Chastel.
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|
Philippe BERNARD, Du chant romain au chant grégorien, éd. Cerf.
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Dom Jacques HOURLIER, La notation musicale des chants liturgiques latins, Abbaye Saint-Pierre de Solesmes.
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Sous la direction de Dom Eugène CARDINE, Graduale Triplex, Abbaye Saint-Pierre de Solesmes.
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lundi 19 mars 2012
Lecture du jour : le grégorien, un chant d'avenir (3)
Troisième extrait (et dernier) d'un texte publié sur le site http://www.ceremoniaire.net/ par A. P., musicien, organiste, ancien responsable musical à S.Germain l'Auxerrois. Janvier 1999
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