Les constats


Quelques éléments de perception


Un portrait de la musique liturgique dans le diocèse de Rennes ne diffère pas radicalement de ce que l’on peut observer dans la plupart des autres diocèses français. Cependant, il faut nuancer…
Le diocèse de Rennes présente quelques caractéristiques propres :
C’est un diocèse très vaste, subdivisé en « pays » : cette réalité imprègne beaucoup d’attitudes et de réflexes. C’était particulièrement perceptible sur l’ensemble des entretiens.

Rennes est le siège « central » de la Province ecclésiastique. C’est aussi probablement le diocèse le plus riche de potentiel artistique et musical de la Province mais, dans le domaine de la musique liturgique, il n’est, il faut bien le dire, ni le plus actif, ni le plus aventureux. Il porte pourtant en son sein une forte densité de talents de toutes sortes. Il porte aussi un héritage marquant en la figure exceptionnelle du Père Yves Legrand.

Il est notoire que depuis le Concile, selon l’avis concordant de plusieurs de mes interlocuteurs, les archevêques de Rennes se sont peu mobilisés sur le terrain de la musique liturgique. A l’évidence, ce constat (partagé) n’a pas facilité la tâche des responsables successifs depuis une trentaine d’années. La mission d’audit en cours marque, peut-être, un changement de perspective…


Rapide état des lieux

La commission de musique liturgique : une structure diocésaine de responsabilité peu lisible et mal (re)connue… Son autorité me semble reposer sur une représentativité assez faible.

La commission de musique liturgique est très peu et mal connue dans le diocèse : la quasi-totalité de mes interlocuteurs hors Rennes ont été incapables de m’en citer le nom d’un membre. Par ailleurs, pour ceux qui en connaissent l’existence, son rôle est flou et ne semble pas les concerner.
La question de son renouvellement (ou de son élargissement) me semble se poser dans un délai assez rapide

Ce renouvellement devra prendre en compte plusieurs impératifs :

Le diocèse est vaste, avons-nous dit : une représentation des « Pays » devra être étudiée. Ne serait-ce que pour corriger l’image d’ « organe central lointain » qu’elle a pour le moment. Cette représentativité accrue devra se doubler d’une plus grande mobilité des responsables vers le terrain.

La musique liturgique par nature met en œuvre des métiers et des pédagogies multiples : je forme l’hypothèse qu’une représentativité de ces métiers (éventuellement déléguée sur un représentant de Pays) soit mise en place.


Des compétences nombreuses et mobilisables, d’innombrables « bonnes volontés »

Comme partout en France, l’organisation de la musique liturgique dans le diocèse de Rennes repose essentiellement sur le bénévolat. Elle mobilise chaque semaine des centaines de personnes pour le service du chant, de l’accompagnement instrumental, la préparation des célébrations, etc… La sincérité de l’engagement de ces personnes est impressionnant et éminemment respectable. Partout, la préparation des célébrations est prise très au sérieux, malgré parfois les difficultés de coordination liées à la multiplicité des clochers dans une même paroisse. En maints endroits, cette coordination est efficace. En revanche, j’ai pu observer aussi des situations d’isolement criantes…

Cependant, la formation des personnes en charge de la liturgie (notamment pour la programmation et la conduite du chant) se fait le plus souvent « sur le tas », par imitation… Ainsi, des routines se sont transmises et installées : usage systématique (donc sans discernement) de la sonorisation, gestuelle de « direction » envahissante et souvent pauvre (donc inutile), compréhension parfois approximative de l’espace liturgique, « clochardisation » (le mot, certes rude ! est de Claude Duchesneau) du répertoire par confusion des temps liturgiques, illisibilité des rites par le chant, uniformisation (et donc banalisation) des formes musicales (tyrannie de la forme couplet/refrain), approximations théologiques dans des paraphrases de textes liturgiques, etc…

La liste des griefs, souvent faits à la musique liturgique et à son exercice, est bien connue.
Si le bénévolat n’a pas à être remis en cause (c’est un bien précieux pour la force de l’engagement), il y a cependant urgence à corriger un certain amateurisme qui caractérise la musique liturgique dans toutes ses dimensions (y compris la composition musicale). Le fait que ce phénomène soit un problème général (en France et principalement dans les pays latins comme l’Italie et l’Espagne) ne devrait pas inciter à reporter à plus tard la mise en place d’un plan de formation massif, à la taille du problème et à la dimension du diocèse.

NB : Dans mon esprit, les catégories bénévoles, professionnels, amateurs, musiciens rémunérés, etc… sont des catégories qui ne s’opposent pas, ni ne se recouvrent : bien des bénévoles sont moins « amateurs » que certains professionnels pourtant rémunérés et des musiciens professionnels rémunérés sont parfois très « amateurs » en matière de liturgie…

L’encadrement des formations en matière de musique liturgique doit impérativement être professionnalisé, avec ce que cela peut avoir de conséquence sur la formation de formateurs.

Un milieu professionnel démobilisé

En contexte urbain, le milieu professionnel de la musique liturgique est de bon (voire très bon) niveau. Il souffre à l’évidence d’un déficit de reconnaissance et de sollicitation (ce phénomène n’est pas récent). Il manque à l’évidence d’un projet catalyseur d’énergie et qui soit capable de mettre tout le monde au travail sur des objectifs clairs.


Globalement, parmi les éléments qui m’ont paru significatifs de la situation de la musique liturgique dans le diocèse de Rennes et qui pèsent, j’ai perçu :

•    Un héritage « Legrand » encore perceptible mais qui ne fructifie plus

L’héritage du Père Legrand ne s’incarne pas seulement dans les dizaines d’instruments qu’il a fait rénover, relever, restaurer, construire dans le diocèse, mais aussi dans l’immense chantier de formation qu’il a initié à la fin des années 50 et qui a connu un certain dynamisme jusque dans les années 90. Ce sont d’innombrables organistes, souvent modestes, qui forment encore le tissu musical des clochers ruraux. Ces générations n’ont pas de relève significative pour le moment. Le tissu érodé se déchire en maints endroits.

•    Un passé conflictuel qui pèse encore (la fermeture de l’Institut de musique sacrée, d’autres conflits récents « polluent » la perception commune de la situation…)

Les entretiens avec l’ensemble des anciens responsables de musique ont fait remonter dans les mémoires de nombreux conflits de personnes, parfois avec une grande violence dans l’analyse du passé. L’image donnée par la pastorale liturgique de la musique depuis plus de 20 ans est assez dégradée aux yeux de la jeune génération (30/45 ans) et des musiciens professionnels actifs. Or, ces musiciens sont particulièrement nombreux dans le diocèse (plus que nulle part ailleurs !) Ceux avec qui j’ai eu un entretien m’ont paru largement démobilisés, mais encore mobilisables sur un projet crédible et conduit avec un niveau d’autorité suffisant. Cela me porte à penser qu’il faut à la fois renouveler profondément les générations porteuses de nouvelles responsabilités et professionnaliser certains postes techniques.

    Un paysage musical et liturgique marqué par de multiples fractures :

- Ville/campagne, mal vécue par les acteurs de terrain, non seulement entre Rennes et le reste du diocèse mais à l’intérieur même des « Pays ».
- Musiciens formés (ou professionnels)/musiciens amateurs
- Musiciens salariés/bénévoles (cette fracture ne recouvre pas la précédente…)
- Musiciens/équipes liturgiques : Cette fracture là mérite une attention particulière car elle perturbe les relations internes en beaucoup d’endroits. L’exclusion, le plus souvent structurelle, des musiciens (chefs de chœur, organistes… et parfois même les animateurs) lors de l’élaboration des programmes de chant pour la liturgie est extrêmement mal vécue. La méfiance mutuelle est souvent présente, même si elle s’exprime peu pour que les choses « tournent » quand même. Ainsi, des musiciens parfois compétents se trouvent enfermés dans un pur rôle d’exécution.
- J’ai perçu en plusieurs endroits un vrai manque de solidarité diocésaine sur des questions qui pourraient aider au développement des bonnes pratiques, la circulation des idées et des énergies (repli communautariste, emprise morale sur des groupes, notion de service travestissant de fait une volonté de pouvoir…)
- Enfin, plusieurs fois exprimée cette réflexion : « Le décalage très grand entre les choses apprises en formation et la réalité des pratiques paroissiales met en difficulté les meilleures volontés !... » Cette fracture sera une donnée à prendre en compte lors de la conception et de la proposition de chaque action de formation : Fonder la formation de quelqu’un sur un contexte paroissial « porteur et sensibilisé » est sans doute un gage de réussite, autant que le contenu lui-même…

•    Des institutions parfois à bout de souffle (stages, associations… voir plus loin « La question instrumentale ») ou perpétuant des schémas obsolètes (maîtrise de la cathédrale), d’autres florissantes mais « à l’écart »… (Saint-Vincent…)


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